Rapport Leblanc : le point de vue du juriste

Copyright Snepfsu-nice.net 2003

Rapport Leblanc : le point de vue du juriste

Cette lettre est téléchargeable voir ci-dessous

Dijon, le 09 juillet 2001
Gérald SIMON
Professeur agrégé des Facultés de droit
Dijon
au SNEP

Vous sollicitez mon analyse concernant le régime d'organisation du sport scolaire et les critiques d'ordre juridique qui lui sont portées. Voici mes remarques.

Il importe tout d'abord de souligner que, consulté en ma qualité de professeur de droit, mon commentaire se situe sur un plan purement juridique, indépendamment de toute prise de position sur le débat politique à l'égard duquel je n'ai pas de titre à intervenir.

A la lecture des documents que vous m'avez adressés, la contestation du système actuel porte sur deux plans : d'une part, d'une manière générale, le fonctionnement des associations sportives scolaires, notamment du second degré, serait une entorse au régime associatif de droit commun, entorse génératrice de confusion ; d'autre part, plus particulièrement, la présidence de droit des A.S. du second degré, dévolue par les textes aux chefs d'établissement, pourrait conduire à des irrégularités juridiques et notamment à placer les chefs d'établissement en situation de gestion de fait. Ces critiques, on le voit, sont connexes. Il convient cependant d'en examiner le bien fondé successivement.

1) Le régime des associations sportives scolaires

Les différentes A.S., tout comme l'UNSS, sont pleinement des associations relevant, à ce titre, de la loi du 1er juillet 1901. Mais le législateur a entendu soumettre certaines de leurs modalités de fonctionnement à un régime particulier en considération de leur spécificité. La loi du 16 juillet 1984 rend ainsi obligatoire la création d'une A.S. dans chaque établissement du second degré et leur impose d'adopter des dispositions statutaires fixées par décret en Conseil d'Etat. Le décret d'application du 14 mars 1986 a ainsi établi la composition de chaque A.S. et de ses organes directeurs, avec la volonté de faire prévaloir le caractère scolaire de ce type d'association sportive. C'est pourquoi y sont représentés outre les élèves licenciés, le chef d'établissement, les enseignants d'EPS " participant à l'animation sportive dans le cadre du forfait horaire réservé à cet effet dans leurs obligations de service ", les présidents de parents d'élèves et les autres partenaires de la communauté éducative. Et c'est en vertu de ce décret que les chefs d'établissement du second degré sont obligatoirement présidents de l'A.S.

Il résulte donc clairement des dispositions législatives et réglementaires que les associations sportives scolaires sont des associations à statut particulier. Cela signifie du point de vue juridique que leur fonctionnement obéit à un double régime : en tant qu'associations, elles sont soumises aux règles générales régissant le contrat d'association définies par la loi de 1901 ( notamment, libre adhésion des élèves, responsabilité propre et distincte de l'A.S., etc…), leur organisation statutaire étant, quant à elle, subordonnée au respect des dispositions particulières énoncées précédemment. Ainsi, une association sportive du second degré, même si elle est obligatoirement présidée par le chef d'établissement, est juridiquement distincte de l'établissement de rattachement et dispose, comme association, d'une vie propre. Les différents actes pris au nom de l'A.S. ne peuvent engager que l'association, à l'exclusion de l'établissement. Certes, l'étroitesse du lien qui l'unit à ce dernier n'est pas sans conséquence. Notamment, comme je l'avais écrit il y a longtemps, le rattachement aux établissements scolaires conduit à considérer que le sport scolaire se situe dans le prolongement du service public de l'éducation et que les A.S. soient chargées d'une mission de service public spécifique : le service public du sport scolaire. Cet ancrage avec l'école justifie que le sport scolaire soit l'objet d'une organisation dérogatoire à celle qui régit le mouvement sportif d'une manière générale.

Sur le plan juridique, ce système n'est ni particulier ni une atteinte au principe associatif. Depuis longtemps en effet l'Administration a recours au procédé associatif pour assurer un certain nombre de ses missions soit en agréant des associations déjà existantes dans les secteurs où elle intervient, soit en créant elle-même des associations au sein desquelles les représentants de la personne publique sont souvent majoritaires. On notera d'ailleurs que dans les établissements du second degré, le conseil d'administration suscite la création d'un foyer socio-éducatif, association soumise à la loi de 1901, placé sous la responsabilité du chef de l'établissement.

Certes, l'utilisation de la forme associative peut donner lieu à des abus et à des dévoiements, notamment lorsqu'elle se traduit par un véritable transfert de compétences et de responsabilités que seule l'Administration devrait assumer. La Cour des comptes a ainsi été amenée à dénoncer une tel recours au procédé associatif qu'elle considère comme aboutissant à un " démembrement de l'Administration ".

Mais pour autant, la condamnation des abus ne signifie pas la condamnation de la formule elle-même. Elle présente au contraire des avantages certains qui expliquent son application courante. En particulier, l'utilisation par l'Administration du tissu associatif permet de faire participer pleinement les administrés aux missions d'intérêt général qu'ont en charge les personnes publiques. Cette participation permet souvent d'assurer une action de terrain plus proche des citoyens qui, dans le cadre associatif, interviennent directement et collectivement dans le secteur concerné tandis que la représentation des membres de l'Administration dans les organes de l'association assure la garantie que la mission est exercée conformément à son objet. Dans cet esprit, le procédé associatif est une forme d'action administrative à la fois souple et adaptée aux réalités du terrain.

L'organisation du sport scolaire, telle qu'elle prévaut actuellement, se situe dans cet esprit : la constitution obligatoire des A.S. dans chaque établissement, la représentation majoritaire des éducateurs et de l'administration scolaire au sein des organes de direction, la présidence de droit du chef d'établissement dans les A.S. du second degré, sont autant de dispositions qui témoignent de la volonté de considérer le sport scolaire comme partie intégrante de la formation éducative dispensée dans les établissements. La forme associative permet, quant à elle, de répondre aux particularités et à la logique des compétitions organisées dans le cadre scolaire. Elle respecte ainsi le volontariat nécessaire à la pratique sportive puisque les élèves demeurent libres d'adhérer à l'A.S. en même temps qu'elle assure l'encadrement pédagogique correspondant au milieu scolaire, grâce notamment au forfait horaire des enseignants en E.P.S.

L'organisation du sport scolaire français répond ainsi à une logique à la fois forte et claire qui le situe dans le prolongement direct de l'action éducative tout en préservant l'autonomie de gestion adaptée au fonctionnement des compétitions. Vouloir réformer cette organisation peut conduire à rompre cette logique. Ainsi, les propositions du rapport Leblanc de " séparer les structures qui concernent le service public de l'éducation et celles qui relèvent de l'UNSS " et " d'abandonner l'obligation qui est faite aux chefs d'établissement de présider de droit l'association sportive scolaire de l'établissement " provoqueraient assurément la rupture du lien organique qui unit aujourd'hui le sport scolaire à l'école. Ce que le sport scolaire gagnerait en indépendance, il le perdrait en obligation. La séparation nette qui est préconisée pourrait en effet rendre fragile le maintien de la constitution obligatoire d'une A.S. par établissement, obligation pour le coup peu compatible avec le principe de la liberté d'association qui comprend la création volontaire de l'association. De même, l'abandon de la présidence de droit du chef d'établissement signifierait que le sport scolaire n'est plus au nombre des missions qui sont à la charge de l'établissement. Dans cette logique, le maintien, même provisoire, du forfait horaire perd sa justification : autant celui-ci prend son sens dans le cadre d'un sport intégré à la vie scolaire, autant il le perd dès lors que le lien avec l'école est rompu.


2) La présidence de droit des chefs d'établissement

Le SNPDEN considère cette obligation comme un " anomalie juridique " qui, du fait de la fonction d'ordonnateur du chef d'établissement, " interdirait juridiquement à l'EPLE de subventionner les charges engagées par l'A.S. ". De telles subventions, accordées par un ordonnateur à une association dont il assure par ailleurs la présidence, pourraient être constitutives d'une gestion de fait.

L'argumentation n'est guère fondée juridiquement. Je rappellerai que la gestion de fait vise les différents procédés par lesquelles une personne, sans avoir la qualité de comptable public, manie directement ou indirectement des deniers publics, notamment après que ceux-ci ont été extraits irrégulièrement des caisses du comptable. Il est vrai qu'un cas couramment dénoncé de gestion de fait est l'attribution de subventions fictives à des associations dites " relais " de l'Administration : les subventions octroyées servent en réalité à d'autres fins que celles pour lesquelles elles ont apparemment été accordées (compléments de rémunérations ou d'indemnités à des agents publics ou à des élus, avantages sociaux divers, etc…). L'organisme associatif n'est en fait qu'un intermédiaire qui se prête au dévoiement des deniers publics. L'opération est d'autant plus possible que l'association est composée essentiellement de membres de l'Administration. Les chambres régionales des comptes ont ainsi maintes fois relevé des gestions de fait liées à l'existence de telles associations, dénommées " associations administratives ", créées de toute pièce par l'Administration à seul effet de détourner les deniers publics de leur destination. La prépondérance quasi exclusive de l'Administration au sein des organes de l'association est l'un des indices souvent retenus par le juge qui conduisent à une déclaration de gestion de fait. C'est en effet un des éléments qui permet de montrer que l'association est en réalité " transparente ", c'est-à-dire dépourvue d'autonomie et de vie réelle. Mais il ne s'agit que d'un indice. Le juge examine aussi les ressources de l'association et surtout la destination réelle des fonds. Il n'y a gestion de fait que s'il est avéré que la transparence de l'association aboutit à un détournement des deniers publics.

Tel n'est assurément pas le cas s'agissant du fonctionnement des A.S. ! Certes, les statuts assurent une prépondérance de l'Administration scolaire au sens large, accentuée par la présidence de droit du chef d'établissement. Mais cette prépondérance n'empêche en rien une vie associative réelle. Et surtout, les subventions accordées pour leur fonctionnement sont nécessitées par les besoins de leur mission… on l'espère du moins !

Ainsi, le fait pour un chef d'établissement d'être à la fois ordonnateur et président de l'A.S. ne peut être en soi constitutif d'une gestion de fait, alors surtout que la création des A.S. est imposée par la loi et que la présidence est fixée par décret. On est loin de la création " sauvage " et dévoyée des associations administratives. Bien au contraire le décret signifie clairement que la présidence de l'A.S. fait partie intégrante de la fonction de chef d'établissement.

Permettez-moi pour terminer de vous livrer une réflexion en tant, cette fois, que Président du Comité Régional du Sport Universitaire (CRSU) de Bourgogne. Comme vous le savez, la création des A.S. n'est pas obligatoire dans les établissements d'enseignement supérieur, non plus que la présidence de droit au chef d'établissement. Je le regrette. Il faut bien constater que le caractère peu contraignant des dispositions relatives au sport universitaire ont conduit à une désaffection inquiétante de la part de la plupart des étudiants, désaffection favorisée par le peu d'intérêt que prêtent les responsables de l'université à l'égard de cette activité jugée comme très accessoire. De sorte que l'A.S. de l'Université de Bourgogne ne fonctionne quasiment pas et les enseignants du SUAPS qui se consacrent bénévolement à animer le sport universitaire ne sont guère encouragés, notamment par le refus qui leur est fermement opposé d'intégrer cette animation dans leur service.

Cet exemple montre, me semble-t-il, qu'un libéralisme, même bien intentionné, ne donne pas nécessairement les résultats souhaités. Cette opinion bien entendu n'engage que son auteur.

En espérant avoir répondu à votre attente, je vous prie d'agréer …
Gérald SIMON

Vous pouvez télécharger cette lettre et l'utiliser, la diffuser (Lettre Simon format RTF, 34ko)